samedi 25 avril 2009

Rencontre Eduardo Lago / Enrique Vila-Matas / André Gabastou

Il faut tuer Borgès !

On attendait beaucoup de la rencontre entre ces deux écrivains espagnols, très exposé ces derniers temps dans la presse française. On a pas été déçu. Une discussion où les deux auteurs ont exposé leur rapport à la littérature, la digestion de leurs influences, le dialogue entre littérature anglo-saxonne et hispanophone, ou l'éthique de l'écrivain, pris entre le fait d'écrire pour lui-même et le besoin de rentrer dans l'arène. Un entretien donc très intéressant à lire ci-dessous :



Enrique Vila-Matas : Eduardo Lago est un grand ami, mais son livre est très différent des miens. J'aurais aimé écrire son livre, mais je ne l'aurais pas pu car nous n'avons pas la même expérience de la vie.


Question : votre livre : je m'appelle Brooklyn a-t-il subi les influences de Nadja d'André Breton ?


Eduardo Lago : A propos de Enrique Vila-Matas : c'est quelqu'un d'une grande expérience professionnelle et d'une extrême générosité mais on ne peut pas dire qu'il m'ait influencé.

Par rapport à Nadja, non on ne peut pas dire que je m'inscris dans le surréalisme.


Question : On a pas impression que ce livre soit un premier roman.


Eduardo Lago : ce roman n'est pas autobiographique : le seul personnage biographique est le peintre. Il s'appelle Antonio Ramos et est mon oncle qui a vécu toute sa vie à Paris.


Concernant ce livre, j'ai toujours écrit pour moi, mais jamais je n'ai eu l'intention de publier. Pour l'anecdote, le peintre qui a fait couverture m'a dit : « excuse-moi mais j'ai lu tes nouvelles et je me demande : pourquoi tu les publie pas » ? Mais j'avais peur : le monde littéraire est impur. Il y a beaucoup de jalousie etc. J'ai montré mon manuscrit à mon agent, et il m'a dit : je peux le publier mais sous la forme roman, pas de nouvelles. Alors j'ai détruit les nouvelles, et j'ai commencé à écrire un roman. J'ai tout repris pour ça que ça ait l'air mature. En tout il m'a fallu six ans pour écrire tout ce matériel.


Enrique Vila-matas : Il y a un aspect très poétique dans ce que tu écris.

Je suis tout à fait d'accord dans ce que tu dis sur le monde de la littérature : quand on écrit : on écrit pour soi, on ne cherche pas à le montrer au monde. De plus, il y a beaucoup de jalousie : on a toujours des problèmes avec l'un et l'autre. C'est un monde horrible sauf si tu ne sais pas si ce que tu vas écrire sera publié.


Lago : Ce que je trouve formidable dans les livres de Vila-Matas, c'est le silence poétique. Par exemple tu utilises l'image d'un poète anglais qui écrivait son poème sur du papier cigarette et le fumait.


Question : Vous défendez l'art pour l'art, mais à un moment il faut aller dans l'arène, non ?


Eduardo Lago : Oui : il y a une forme de couardise sinon. Écrire, c'est beaucoup de joie et aussi beaucoup de souffrances. Philip Roth dit : j'ai écrit 30 romans, je ne suis pas un homme heureux.


Enrique Vila-Matas : Tu parlais des grands écrivains de la génération de mes parents : ils sont un peu connus en Espagne, mais ils seront bientôt oubliés : c'est dommage. Mais si tu penses que l'important c'est juste d'écrire, c'est parfait.


Question : Enrique Vila Matas, votre nouveau livre est un journal intime mais d'une certaine façon , c'est encore un roman. Il y a notamment une réflexion constante sur la littérature


Enrique Vila Matas : Je commente le monde entier. Mon journal est donc aussi tourné vers le monde. Mais l'idée est que je suis toujours en décalage : j'arrive toujours après.


C'est comme Joseph K dans Kafka : « raconte-le moi, mais raconte-le moi entier » : il ne voulait pas de récit fragmentaire. Kafka cherchait le récit total, complet.


Question : vous cherchez aussi à faire le roman total ?


Eduardo Lago : Oui. Je n'ai compris ce que j'ai fait qu'après l'avoir fini. On m'a dit : votre roman est très cerventin. C'est un argument très commercial. J'ai écrit un roman fragmenté. Mon roman tient sur deux narrateurs : le premier va mourir et demande au deuxième de finir le roman. Dans Don Quichotte, Cervantès n'est pas le narrateur : c'est un manuscrit qu'il trouve et qu'il commente. Je vis à New York depuis 32 ans, je suis traducteur. J'ai voulu importer toutes ces techniques vues chez les grands auteurs américains. Et je voulais aussi garder l'esprit de Joyce : il faut oser, brusquer la structure.

André Gabastou (traducteur des deux écrivains) : En France, il n'y a pas de tradition du récit fragmenté.


Eduardo Lago : Dans mon roman, il y a un personnage qui s'appelle Joy Gould : il est journaliste et écrit l'histoire orale du monde à travers des discussions enregistrées à New York.


Enrique Vila Matas raconte une anecdote où il se cache des journalistes.

Enrique Vila Matas : Mon rapport avec la critique est que moi-même je crois que je suis un critique. La critique a fait avancer l'histoire de la communication du livre à l'extérieur. Je suis plus préoccupé par la critique qu'aucun écrivain. Je suis tellement inquiet de la critique que la critique la plus misérable m'inquiète. Je suis toujours prêt à me réformer, mais je me réforme jamais. Mais j'écoute.



Serge Gainsbourg a dit dans une émission de télévision [dans mon zénith à moi, face à Catherine Ringer] : nous avons de l'éthique. Pour moi, ce qui est très important, est de ne pas oublier le passé. Mais cette morale n'est que pour moi. Tout ne se vaut pas non plus, contrairement à ce que dit le proverbe.


Dire que l'humour est le seul sens du monde n'est pas nihiliste : c'est juste l'idée que quand on arrive au bout, il faut rire.


Question : un autre passage amusant du livre est quand vous parlez du difficile art d'offrir des livres : il y a un danger que l'autre puisse penser que le titre du livre contienne un message caché sur sa propre vie.


Enrique Vila-Matas : Je pense qu'il y a une clé cachée dans l'univers : j'ai toujours eu peur que ce qu'elle révèle n'arrive. Avant je pensais que le sens caché venait de la traduction : par exemple, je suis traduit en Allemagne, et j'ai visité des villes avec mon traducteur, mais il ne me parlait pas. Je ne pouvais parler à personne. Je voyais les gens parler et j'écrivais un journal où je disais ce que je pensais qu'il s'était passé ou dit. Le traducteur m'a dit en le lisant que j'avais à chaque fois compris l'inverse de ce qui s'était réellement passé. Pendant longtemps, j'ai cru que c'était à cause du traducteur, mais en fait, c'est juste ma façon de vivre.


Question : Peut-on parler d'influence de la littérature américaine sur votre littérature ?


Eduardo Lago : La littérature espagnole est prisonnière du réalisme. Je suis très influencé par Don Delillo et surtout par Thomas Pynchon. Pynchon est quasiment illisible, mais il est très important. Tout comme Joyce : très important même si parfois ennuyeux.


Question : en tant que directeur de l'institut Cervantès de New-York, comment vivez-vous votre travail de médiation de la littérature espagnole aux Etats-Unis.


Eduardo Lago : Les Etats-Unis sont un pays où un quart de la population est hispanophone. Ce sera bientôt le pays où il y aura le plus d'hispanophones au monde. New York est un point de rencontre, la capitale de la littérature américaine. Il est important de mettre les gens ensemble. C'est ce que j'essaie de faire en terme d'événements, faire se rencontrer des écrivains américains et espagnols.


Mon livre est un chant à l'amitié. C'est très important.


Question : Vous inscrivez vous dans un mouvement Néo-Borghesien ?


Eduardo Lago : Il faut tuer Borgès. On ne peut rien faire sinon, car il a déjà tout fait. C'est un des plus grands, comme une icône. Mais on ne peut pas le refaire.


Enrique Vila-Matas : Quand j'ai commencé, je voulais être Gombrowicz mais je ne pouvais pas l'être : en fait ce que je fais n'a rien à voir.


Propos retranscrits par Benjamin Sausin


samedi 18 avril 2009

Compte rendu de la rencontre carte blanche à Olivier Cohen : autour des éditions de l'Olivier

L'escale recevait Olivier Cohen, créateur et directeur des éditions de l'Olivier, ce dimanche 5 avril 2009. Un éditeur agissant comme un chef d'orchestre, il y avait bien une certaine logique à ce qu'il vienne accompagner de sa garde rapprochée : Geneviève Brisac (éditrice et écrivain), Olivier Adam (écrivain), Juliette Kahane, Olivier de Solminihac. C'est aussi la marque d'un homme plein de tact, dont la passion est de mettre les autres en avant.


Ainsi si l'entretien s'est concentré sur le parcours d'Olivier Cohen, en particulier dans le cadre des éditions de l'Olivier, son récit a été éclairé par les interventions ponctuelles de ses invités.


Entretien où l'on apprend que le destin de cette maison d'édition tient à deux mots : hasard et rencontres.


Hasard que la création de cette maison, qui n'est pas née d'un projet longuement mûri, mais d'un licenciement et d'une proposition de Claude Cherki des éditions du seuil, de créer une nouvelle structure. Derrière malgré tout, l'envie de ne plus avoir à se justifier, de ne plus devoir batailler pour imposer ses auteurs. Les éditions de l'Olivier se créent donc autour d'un projet très vague : mettre en avant la littérature américaine, découvrir des auteurs français, publier des livres de voyage (qui ne viendront jamais). Le hasard encore aurait pu tuer dans l'oeuf cet éditeur : en 1991, quand les premiers romans paraissent, la guerre du Golfe éclate, paralysant l'économie. Résultat, un boulet commercial à tirer des années.


Mais heureusement, il y a de bonnes rencontres aussi, qui ont permis la survie de l'Olivier. D'abord un grand monsieur de la littérature américaine, Raymond Carver, qui servira d'auteur étendard. Une révélation pour Olivier Cohen qui en a tiré sa conception du métier d'éditeur, et une référence pour les autres auteurs américains signés par la suite : Cormac McCarthy, Richard Ford, Jonathan Safron-Foer, etc. Une autre rencontre capitale, celle de Geneviève Brisac, elle aussi venue à l'édition un peu par hasard, grande éditrice de littérature jeunesse, qui a amené avec elle toute une génération de nouveaux écrivains, qui ont participé au renouvellement du paysage littéraire française, comme Olivier Adam ou Christophe Honoré.


Ainsi, au fil des années s'est crée une véritable identité autour d'un pôle littérature américaine au succès constant et d'une génération française nourrie aux nouvelles de Raymond Carver, qui ont fait des éditions de l'Olivier une structure stable dans le paysage tourmenté de l'édition française.


En annexe à cet article, veuillez trouver la retranscription de la rencontre avec Olivier Cohen, que nous avons tenté de reproduire de la façon la plus fidèle possible.


La rencontre a été menée par le directeur de l'Escale, Pierre Mazet.


Pierre Mazet : La venue de l'Olivier se situe dans une problématique de défense d'une génération d'auteurs. (...)

Première question : en 1991 vous créez les éditions de l'Olivier : racontez-nous en l'histoire.


Olivier Cohen : Tout d'abord je tiens à vous adresser mes remerciements. Ce genre d'invitation n'est pas courante. Je ne cours pas après : la qualité d'un éditeur est sa discrétion. Il doit être derrière auteur ou sur le côté. Pour cela qu'il fallait des auteurs avec moi.

A propos de la fondation de l'Olivier : je venais d'être mis à la porte d'une maison d'édition après trois ans, sans explication. J'étais assez en colère, avec le sentiment de ne pas avoir terminé mon travail. Le patron des éditions du Seuil, Claude Cherki m'a demandé si je voulais créer une maison d'édition avec lui. J'ai dit non : cela voulait dire des angoisses, des soucis : ça avait l'air d'un piège. Il m'a laissé sa carte et m'a dit : revenez me voir. Finalement, il est revenu et j'ai accepté.


Au départ je n'avais pas de projet : j'ai rencontré d'autres maisons d'éditions qui étaient très sympathiques, mais tout cela signifiait de dépenser des trésors d'énergie pour convaincre de publier les livres. Finalement, les éditer me semblait plus simple : je n'avais rien à expliquer. Pour mon projet , j'ai dit que je publierai des auteurs américains que j'aimais beaucoup et qui accepteraient de me suivre. Je voulais aussi des auteurs français mais cela semblait plus compliqué : je ne savais pas qui. Et j'ai aussi parlé de livres de voyages, mais ce n'était pas vrai.


En 1990 : la société a été crée. Le premier livre a paru en 1991. Le premier février 1991 a éclaté la première guerre du golfe. Avec la peur du terrorisme, les gens ne sortaient pas. La première année a été terrible : l'accueil critique a été bon, mais pas les ventes. Cette année a pesé lourdement sur les années suivantes. On a commencé dans deux minuscules bureaux : un pour moi et un pour ma secrétaire. Juste un téléphone et fax. Et j'ai démarché.


Pierre Mazet : Vous avez publié des auteurs américains et pas des moindres: Richard Ford, Raymond Carver. Puis est venue une deuxième génération avec laquelle vous avez continué votre travail de présentation de la littérature anglo-saxonne : Jonathan Safron-Foer, Cormac McCarthy...


Olivier Cohen: Je ne suis pas un universitaire (plus, en fait), ni un critique. Mais mon travail est basé sur des rencontres. Raymond Carver a une place particulière. Si on pouvait dédier une maison d'édition à quelqu'un, ce serait à lui. C'est ne qu'après avoir rencontré ses livres et lui-même, que j'ai compris qu'être éditeur pouvait avoir un sens, qui soit autre qu'un gagne pain. Il m'a apporté son amitié, et sa très grande culture. Contrairement à ses personnages, Carver n'était pas un homme simple. Il avait beaucoup lu (littérature russe et française), a eu une vie très compliquée à cause de son alcoolisme. Il était très respecté des autres écrivains : connaître Carver ouvrait les portes des auteurs américains. Chaque auteur m'a amené à d'autres. Cf. Jay McInerney : je l'ai d'abord publié, avant de me rendre compte qu'il était très lié à Carver.


Pierre Mazet : Au début le catalogue français était un peu maigre, mais vous vous êtes bien rattrapé. Celle qui vous a aidé, c'est Geneviève Brisac.


Elle monte sur scène



Olivier Cohen : quand je l'ai rencontré, elle avait un palmarès d'éditrice extraordinaire. Elle publiait des livres jeunesses : elle découvrait des auteurs qui n'avaient rien écrits. Elle a un sixième sens : elle est capable de reconnaître des écrivains à partir de bribes de textes. Elle a découvert et publié beaucoup de ses auteurs, mais une toute petite partie chez l4Olivier. Pour certains : on les a choisi, et eux nous ont choisi.


Geneviève Brisac : Moi j'écrivais, et le problème des écrivains est qu'il faut manger. Que faire ? En Allemagne, ils ont des bourses. En Angleterre, ils enseignent. Mais j'ai été une très mauvaise prof. Je suis devenue éditrice pour enfant par hasard. Quand j'étais prof, je voyais que les enfants ne lisaient pas. Alors j'ai cherché des choses émouvantes, profondes.


J'ai rencontré des auteurs, et les ai amenés à écrire des livres pour enfants. L'idée était de construire des choses belles et inoubliables. Ca aurait pu être de la menuiserie.


Olivier Cohen : ces gens étaient écrivains. Une nouvelle génération : à l'époque c'était quand même leur premier livre : Agnès Desarthe, Amélie Nothomb, etc. En quelques années, le paysage littéraire français a été bouleversé. Du coup, certains auteurs qui avaient occupé le haut de la scène se sont retrouvés doucement poussés en bas.

Puis on s'est rendu compte que les gens aimaient la littérature étrangère : cela représente 30 % des ventes aujourd'hui. La France est le pays qui traduit le plus de littérature étrangère.

Les deux phénomènes se sont combinés pour faire réussir les Editions de l'Olivier.


Pierre Mazet : Quels sont les liens entre les auteurs américains et les auteurs français que vous publiez ?


Olivier Cohen : Geneviève Brisac m'a fait découvert Flanery O'Connor, etc : des auteurs féminins, anglo-saxons. Et des spécialistes de la nouvelle. C'est un genre qui a été inventé par la France avec la Russie, mais qui a été complètement oublié après. Maupassant est considéré par les américains comme l'inventeur de cette forme. Pour moi, nouvelle est de la littérature française transplantée aux Etats-Unis : il y a des liens évidents que nous ne connaissons pas mais eux oui. J'insiste car on ne se rend pas compte à quel point elle se trouve à l'essence de la littérature actuelle. La nouvelle permet l'apprentissage lecture : elle est comme un sprint, un combat de boxe en deux rounds.

De plus, il y a une économie de la nouvelle : le new-yorker publie chaque semaine une nouvelle, y compris d'inconnus. En plus ils sont payés pour ça. Certains mêmes en vivent. Carver vivait des quatre nouvelles qu'il publiait dans le New Yorker par an.

Chez Geneviève Brisac et Olivier Adam : il y a une compréhension de ce que peut être une nouvelle, et la littérature anglo-saxonne.


Olvier Adam monte sur scène


Olivier Adam : Je me suis nourri de littérature anglo-saxonne. C'est une des raisons pour lesquelles j'ai publié à l'édition de l'olivier, et notamment cette relation à Raymond Carver. De se dire : c'est possible, on a le droit d'écrire de cette façon, sans effet de manche, dans cette humanité et empathie là. J'avais enfin l'impression de lire quelque chose des gens qui m'entouraient. J'avais 17 ans quand les éditions de l'Olivier se sont crées. M'a accompagné durant mes années de formation. Je venais de découvrir Jean-Paul Dubois. Et puis, au fond, je me suis rendu compte que cette maison publiait des livres français ou américains, qui allaient bien avec moi. J'achetais presque à l'aveugle. Petite de Geneviève Brisac, a été très important pour moi. Marie Desplechin, Christophe Honoré, aussi. Ces livres alimentaient mon travail, mes choix et m'ouvraient d'autres horizons : par exemple j'ai lu Virginia Woolf parce que Geneviève en parlait tout le temps.

Pour moi, il était du coup naturel d'aller vers Olivier. L'articulation entre littérature française et américaine était intéressante : il n'y a pas un domaine étranger, pas de différence de couverture entre français et américains, pas de rupture.



Olivier Cohen : A la fin des années 70, je travaillais au Sagittaire. L'équipe partageait un goût pour un certain type de littérature : les auteurs français de l'entre deux guerres cités par Olivier Adam : l'aile gauche de la nouvelle revue française. Le fait qu'Olivier Adam ait aimé ces auteurs avant qu'on s'en parle, marque les liens invisibles entre auteurs et générations d'auteurs. Les auteurs, les journalistes, les salons passent mais les livres restent.

Notre maison d'édition est jeune, elle n'existe que depuis 20 ans, mais ça me plaît de savoir qu'il y a une continuité avec auteurs. Et il n'y a pas que des américains : Aharon Appelfeld par exemple est très important.


Pierre Mazet : comment ça se passe quand on arrive dans votre maison d'édition ?


Juliette Kahane et Olivier de Solminihac montent sur scène :


Juliette Kahane : Je Connaissais les éditions de l'Olivier pour Carver. Je ne peux pas faire de comparaison avec autres maisons d'éditions [elle vient de Gallimard], mais j'ai trouvé que le facteur humain était très fort. Sur le texte lui-même, j'ai travaillé avec l'éditrice Laurence Renoud d'une façon complètement nouvelle, pour le bien du livre.

Olivier Cohen : Il y a en France une tradition de l'image de l'éditeur. Une image qui date de l'époque romantique. Il doit nécessairement être quelqu'un de solitaire, au bord de la faillite, qui court à droite à gauche, pour faire partager sa passion. Mais cette image ne correspond pas à la réalité. Les éditions de l'Olivier sont une équipe : je ne suis pas seul pour prendre la décision finale. Ce qui fait la force d'une maison d'édition est la capacité à faire travailler ensemble des gens au goût différent. Je n'ai jamais cherché à défendre une ligne d'édition, mais toujours à faire vivre des expériences différentes.



Olivier de Solminihac : Mon lien à l'olivier est Patrick Bouvet. Lui-même s'était tourné vers l'Olivier car il avait lu Michael Ondaatje à l'Olivier. A l'époque, j'écrivais de la poésie, et les contacts que j'avais pu avoir étaient décourageants. Je me disait, si ça ne marche pas, je monte une revue. J'y ai publié Brisac, Bouvet, Honoré, et des auteurs venant d'horizons complètement différents. Puis au cours de mes études : j'ai fait un stage dans la partie éditions de l'Olivier. Ce fut un moment très important : le début de ce stage a été complètement raté. J'avais perdu mon père 15 jours avant le début du stage. C'était un moment très douloureux. J'étais Incapable de travailler pendant les premiers jours. Mais l'accueil qui a été fait par Olivier et Laurence Renaux a été merveilleux.

J'ai publié mon premier recueil de poésie chez un petit éditeur de Chartres. Et puis mon projet d'écriture : Partir : s'est révélé être un roman.


Olivier Cohen : Mais Olivier, vous écrivez certains romans qui sont vraiment poétiques. C'est un problème grave dans notre pays : dans les autres pays, les poètes sont des gens importants, pas démodés. Mais en France, ils sont mal accueillis par tout le monde.

En conclusions de cette rencontre, je dirais qu'une maison d'édition est basée exclusivement sur l'amour de la littérature : ça ne peut pas marcher autrement.



Sources : le logo des éditions de l'olivier a été pris sur le site :bibliomonde
Les illustrations de couverture sont reprises du site de la librairie Decitre


Liens : Vous pouvez retrouver des informations sur les éditions de l'Olivier sur leur site internet.


Benjamin Sausin

mercredi 15 avril 2009

Compte rendu des inséparables : lecture dansée de Marie Nimier (mots) et Claudia Gradinger (corps)



Une histoire presque banale. Deux jeunes filles, deux amies, inséparables et pourtant séparées par la vie, par des destins très différents. Les retrouvailles sont toujours touchantes et poétique, même quand la réalité se fait sordide.

Récit d'une amitié, les inséparables se prêtait tout naturellement à être lu en duo. Pourtant, c'est presque par hasard que ce « spectacle » (Marie Nimier n'aime pas trop ce mot, car c'est plus que de la lecture, mais moins que du théâtre) s'est monté. Marie Nimier et Claudia Gradinger ont commencé à travailler ensemble autour d'un spectacle basé sur les plantes vertes (Claudia Gradinger devait y être formidable en ficus), et puis il y avait ce texte que l'écrivain venait de terminer : l'occasion comme souvent a fait le larron. Quelques semaines de répétitions intensives, et nous voilà avec un spectacle transposable en tous lieux, sans en pâtir.

Il y a bien quelque chose du théâtre dans cette performance : un texte, des personnes sur scène, un espace délimité par du scotch blanc apposé au sol, un lecteur de cd portatif pour la musique. Mais Marie Nimier refuse cette appellation, car il n'y a pas d'acteurs à proprement parler. Juste elle qui lit et Claudia Gradinger qui danse. Malgré tout, ce n'est pas si simple : dans la relation Marie Nimier / Claudia Gradinger sur scène, il y a beaucoup de la relation entre cette narratrice qui parle, et son amie Lea qui vit si intensément, comme un papillon toujours à deux doigts de se brûler les ailes, et dont les émotions passent avant tout par le corps. Et puis, il y a tous ces apartés entre les deux performeuses, certains répétés d'autres pas, qui apportent une vraie touche de vie dans la représentation.

Cette lecture dansée est un spectacle compact, crée pour pouvoir être joué n'importe où, avec un minimum de répétitions, un work-in-progress permanent. Crée dans l'urgence, elle se concentre sur l'essentiel : les deux amies, une chorégraphie basée sur les moments forts de cette relation d'amitié, pas de décor. Une épure du roman, dont la simplicité n'empêche pas la subtilité. Si on sent Marie Nimier pas encore complètement à l'aise dans la lecture à haute voix (surtout si on la compare à la performance de Jacques Bonaffé le lendemain sur le texte d'Olivier Adam), la danse de Claudia Gradinger, simple mais subtile apporte énormément. Le final, chorégraphie sur l'activité de prostitution de Léa, dansée sur la musique hypnotique de death in vegas, prend le risque du sordide pour trouver une sorte de grâce très fragile. Et puis le texte lui-même est très fort : poétique sans tomber dans le naïf, tout simplement touchant.

En somme, difficile de dire s'il s'agissait là d'une lecture ou d'un spectacle, mais il n'y a aucun doute que cette performance fut de grande qualité : on espère qu'elle continuera à tourner dans les bibliothèques, salons, et pourquoi pas scènes de théâtre.


En cadeau bonus de cet article, retrouvez ci-dessous la transcription (la plus exacte possible j'espère) des propos de Marie Nimier et Claudia Gradinger, tenus après la performance :



A propos de la création de cette lecture-dansée


Marie Nimier : On s'est retrouvé dans une compagnie de danse : Petite forme autour d'un texte sur une plante verte. On a eu envie de travailler ça un peu plus. Mais je venais de terminer les inséparables.

On ne pouvait pas le lire en entier. Claudia l'a lu, et a aimé. Comme c'était une longue histoire, le problème était : quelle danse on crée là dessus ? On s'est senti assez libre pour bouleverser la chronologie, l'histoire et la réduire à une nouvelle. Les chorégraphies viennent aux moments clés : quand les deux amies sont toutes près.

Au début, il y avait trop de texte, on a fait tomber du texte. Comme si on faisait tomber le texte à la passoire et qu'on le centrait sur les deux amies.


A propos de la dualité entre le corps qui bouge, et la lecture.


Marie Nimier : La douleur de l'écrivain, c'est le corps contraint. (...) La douleur, ce n'est pas pas la page blanche mais rester derrière une table, immobile. Lire à voix haute est une façon de faire respirer les mots autrement. Le texte est un peu modifié car il s'agit d'une lecture à voix haute : faut le rendre sonore alors que texte est une voix silencieuse.

Ici, beaucoup de mots se répètent, il faut mettre en évidence la valeur rythmique. Cela a été inspiré par mon expérience des livres pour enfants basés sur l'oralité.


Question : on sent beaucoup de réserve dans votre attitude à toutes les deux durant le spectacle


Marie Nimier : Le mot réserve a beaucoup de sens : on ne sait pas ce que la vie nous réserve. Intéressant : dans une page on a une marge, qui est la réserve. Ici, on a un carré de 5 mètres : on peut être dedans ou dehors. La réserve sépare, quand le texte parle de prostitution. Il faut protéger le corps de son personnage.


Claudia Gradinger : Ne pas trop dire, ne pas être redondant.


Marie Nimier : On a pas l'impression qu'elle se retient, et en même temps, elle est réservée, en retenue. Elle a la volonté de ne pas tomber dans le spectacle de strip-tease. Pas une pudeur idiote, mais de la réserve.

A un moment, Claudia monte sur mes genoux : on appelle ça faire la langoustine : TIENS MARIE ON VA FAIRE LA LANGOUSTINE !

Dans d'autres situations, je dois parler avec la feuille, le micro, et la langoustine : on est dans une impudeur extrême des deux corps liés et en même temps il y a ce texte qui défile comme si de rien n'était.


Question : Qu'est-ce que ce "spectacle" a apporté à Claudia ?


Claudia Gradinger : j'adore lire, et je suis très sensible aux différents... j'adore l'écriture. Ma recherche ne porte pas sur un concept au départ, mais sur un personnage. Dans un autre travail, je devais fortement m'identifier à un ficus. Je ne pars pas vraiment des histoires, mais des personnes (des êtres). Créer une chorégraphie - ce sont avant tout des propos physiques que l'on traite. C'est à dire créer à partir des sensations physiques (la danse est pragmatique, réelle, non sémantique) et émotionnelles.
Un travail sur les états – qui se fait dans le silence.
Pour moi, la danse c'est une affaire profondément humaine et je travaille beaucoup avec des personnes à la marge (malades psychiques, physiques, personnes âgées, des danseurs atypiques...), des singularités qui sont en quelque sorte des « personnages ».

Ainsi il s'agirait de sortir la danse de son propos technique et de ne plus chercher le geste juste mais le geste vrai.

Le travail autour des Inséparables, est nouveau pour moi parce qu'il s'agissait de partir d'une histoire sémantique.
La contrainte était de trouver la nature des différentes danses correspondant à Léa.

C'est une façon de sortir un peu de la danse.


Question à Marie Nimier : Votre lecture est très proche du théâtre : la danse sert de mise en scène au texte : elle donne à entendre le texte. Est-ce que vous écrivez du théâtre ou cela vous donne-t-il envie d'en écrire ?


Marie Nimier : J'ai commence à en écrire avant même de travailler avec des danseurs. Le théâtre est peut être plus difficile. Le roman, c'est ma terre. Je suis assez timide et donc il m'est difficile d'aller vers les metteurs en scène. Alors qu'avec danseurs : il y a beaucoup d'appétits. C'est une sorte de détour. L'espace et temps deviennent des choses essentielles.


Claudia Gradinger : Avant Marie n'était pas d'accord pour dire que c'était spectacle. Pour Marie, un spectacle serait un texte écrit pour le théâtre, spécialement. Elle disait : c'est juste une lecture .


Marie Nimier : c'est plus qu'une lecture, moins qu'un spectacle. Ce serait bien si pouvait avoir une personne qui regarde ce qu'on fait. Décors.


A propos des apartés


Marie Nimier : on aime bien se faire des surprises : garder cette qualité du vivant, jusqu'au point de dire des choses que l'autre n'attend pas.


Claudia Gradinger : On revient au in et au off : les histoires off sont parfois plus intéressantes. Même si on ne comprend pas, ça apporte quelque chose. Ca titille la curiosité du spectateur.


Marie Nimier : En plus, cela vient des lieux où on a pas le temps de beaucoup répéter, par exemple dans un festival, où les événements se bousculent, et où il peut y avoir des problèmes avec le poste de musique. Cela permet d'atténuer la faille. En plus c'est amusant : le destin des deux personnages et la vie de nous deux : Claudia et Marie. Entre les deux sorte d'amitié il y a une complicité. C'est intéressant.


Claudia Gradinger : Disons que nous avons conçu ce spectacle pour être le plus flexible possible.

A propos de l'escale :

Marie Nimier : vous ne pourrez rien me faire dire contre l'escale du livre: il s'y passe quelque chose.


A propos de futures représentations des inséparables en bibliothèque.


Marie Nimier : Un des buts de ce travail a été de pouvoir le jouer dans des médiathèques. Très léger. En tant qu'écrivain, on nous propose des rencontres en face en face. J'y suis pas forcément à l'aise : ici, ça donne envie de lire.


Ce n'est que la neuvième fois qu'on le joue : on a très peu répété : juste pour les salons du livre et les bibliothèques.


Claudia Gradinger : On a travaillé une bonne semaine et après deux trois semaines. Il n'y a plus beaucoup d'argent dans la danse : il faut faire vite. La moyenne de représentations pour une création en danse est de deux fois par an : cela ne vaut pas le coup de répéter trois mois.


Pour aller plus loin :


Le site de Marie Nimier
Le site des princes de rien, la compagnie de danse de Claudia Gradinger

Un entretien avec Marie Nimier à propos des inséparables


Remerciements à Mme Claudia Gradinger pour sa relecture et ses éclaircissements

Benjamin Sausin


lundi 13 avril 2009

Trois jours à l'escale du livre

Si l' Escale du livre devait être une danse, elle serait le mélange d'un flamenco endiablé et d'une valse joyeuse. La chaleur sous le chapiteau nous animait d'une fureur de vivre, debout sur nos deux jambes à surveiller les mauvais esprits voleurs d'ouvrages. Si nous les surprenions, nous tapions du pied, le sourcil levé (d'où le flamenco).

La valse, quant à elle, s'éveillait lorsque nous courions après ces mauvais esprits, zigzaguant dans la foule tiède. Nous valsions aussi lorsque nous étions heureuses en fin de journée, ivres avant le vin, après 13 heures d'observation intense. Car l'escale du livre, lorsque l'on est stagiaire et apprentie à l'IUT Michel de Montaigne, c'est d'abord un petit bain de foule du dimanche bien mérité, puis cela atteint une dimension inattendue: derrière nos regards méfiants se cachent nos sens émerveillés par lui, l'unique, l'objet de toutes ces convoitises: Le livre. Avec ses belles pages, ses couvertures plus folles les unes que les autres, il est pris, tourné, retourné, lu, relu, questionné, emprunté, parfois volé. Partager cet objet de mystère avec les gens fait partie des joies qui animent toute personne aspirant à devenir libraire. Orienter, avec toujours cette peur de décevoir, parce que nous ne sommes que des humains qui font part d' un ressenti sur un ouvrage (petit clin d'œil à ceux qui exhorte le libraire pour un compte rendu pointu sur chaque ligne des livres qui se tiennent devant lui).

Trois jours à l'escale c'est, au delà d'une perpétuelle douleur aux talons, une course folle qui nous ouvre sur l'avenir. Un avenir fait de rencontres, avec les professionnels, une clientèle avertie, et des auteurs. Auteurs qui nous ont ému, certains face à la cette éternelle contradiction: écriture de l'intime mais obligation pour en vivre de se montrer, et de prendre le risque de passer une journée seul face à une montagne de leur propres œuvres, sans en signer une seule. Ces œuvres qui tout d'un coup ne leur appartiennent plus. 

Trois jours à l'escale, c'est beaucoup de sourires, certains faux, mais d'autres profondément vrais et salvateurs: avec nos proches venus nous voir, nos collègues du stand, nos collègues du stand d'à côté, ceux du stand au bout du chapiteau, ceux du chapiteau d'à côté. Une grande famille que l'on se crée petit à petit, oubliant les pseudo intellectuels (façades de savoir) qui vous ont pris pour la serveuse de vin du stand, pour se tourner vers ceux qui ont compris ce que c'est de s'imprégner d'un ouvrage, le vivre et le partager. 

Emma Foucher (stagiaire à la Colline aux livres) AS Édition/Librairie.



vendredi 10 avril 2009

Échange d’impressions autour de "Je mourrai pas gibier" de Guillaume Guéraud

Marie : Lorsque j’ai lu Je mourrai pas gibier (la version roman aux Éditions du Rouergue), j’ai tout d’abord été étonnée que le livre commence par la fin. Le héros nous dévoile tout de suite la tuerie dont il est l’auteur. Sa culpabilité ne fait aucun doute. Pour autant, le lecteur reste dubitatif et aimerait comprendre ce qui l’a poussé à ce geste insensé. Ainsi, la suite du roman nous narre la descente aux enfers qui l’amène lentement vers cette extrémité…


Claire : Moi aussi j’ai lu Je mourrai pas gibier, il s’agissait de la BD adaptée de ce roman. L’histoire commence aussi par la fin et le personnage principal en est le narrateur. J’ai trouvé l’univers de cette BD très sombre. Les couleurs sont ternes et le trait devient de plus en plus brouillon au fur et à mesure que le drame avance…



Fany : C’est en effet une histoire qui semble tourner en boucle. Comme vous le disiez, on y entre par la conclusion : le narrateur, blessé, est couché dans le jardin ; la police est sur les lieux, elle enquête et dresse le bilan d’un drame qu’on ne comprend pas. En tant que lecteurs, lorsque nous ouvrons la BD – ou le roman – c’est pour nous plonger dans l’incompréhension la plus totale en reconstituant par bribes les faits d’un crime affreux commis par un adolescent, qui nous donne tout d’abord un sentiment d'absurdité, de non-sens.



Marie : Pour ma part, j’ai l’impression que cette scène que l’on retrouve à la fois au début et à la fin est en quelque sorte la destinée du héros, à laquelle il ne peut échapper. Selon moi, l’autre fait marquant est l’amitié entre le héros et Terence le « pleu-pleu », un simple d’esprit qui sert de souffre-douleur à tous les habitants du village, quel que soit leur clan, les scieurs ou les gars de la vigne. La séparation entre les deux clans semble éternelle et est un point fort du roman. Martial, le narrateur, de par ses études et cette amitié essaie de sortir de cette dichotomie infernale, et la seule issue qu’il y trouve est la tuerie qu’il finit par provoquer.



Claire : L’agression du pleu-pleu par le frère de Martial et son ami Fred remet en question toute la vie du personnage principal, sa position dans son village mais aussi celle vis-à-vis de sa propre famille. Dans la BD, quand le héros découvre pour la première fois avec horreur ce que son frère et Fred ont fait à Térence, Martial ne devient plus qu’une silhouette noirâtre. Ses pensées ne sont plus que des traits illisibles, des gribouillis incompréhensibles. Le dessinateur arrive ainsi à retranscrire l’état d’esprit dans lequel il se trouve. On voit sa famille et Fred sous la forme de silhouettes difformes et monstrueuses qui le hantent et le torturent. La deuxième fois, quand Martial comprend que les deux acolytes sont repartis tabasser le pauvre Térence et qu’il le découvre agonisant, l’espace de deux cases sur fond rouge (qui symbolisent la répétition et l’horreur), on comprend parfaitement que le personnage a basculé et qu’il va commettre l’irréparable.



Marie : Ce sont aussi deux moments forts dans le roman. Ils sont décrits de manière courte mais précise, sans ellipse. Cependant, j’ai l’impression, à vous lire, que l’image apporte une force et une violence moins prégnante dans le roman. Ces scènes structurent véritablement le récit et opèrent une incroyable modification dans le comportement du héros.



Fany : Dès le départ, un symbole fort a été introduit dans la BD, comme une menace insidieuse, qui n’est là que pour évoquer la fatalité qui guette Martial : c’est l'image du lièvre que le dessinateur a choisi de glisser dans les pages. Il apparaît à la toute première case de la BD puis on le retrouve en motif discret, glissé parmi d'autres, dans la représentation des pensées du garçon. Un lièvre, c'est le gibier par excellence, la proie facile. Ici, cette image de la victime aux abois évoque le véritable drame, celui qui donne tout son sens à l’histoire et qui sert de titre au roman, qui est résumé par un dicton du village énoncé dès les premières pages : "je suis né chasseur, je mourrai pas gibier." Au fil des pages, les deux camps se dessinent : les chasseurs aux instincts violents et cruels et les gibiers, victimes d’être différents et impuissants face au danger. Pris entre sa nature et son désir de vengeance, Martial endossera tour à tour les deux rôles.


Claire : À la fois, chasseur puis gibier, Martial n’avait aucune chance de s’en sortir. Dans la BD, son saut dans le vide est représenté comme une clé vers la liberté et pourtant le lecteur sait dès le départ qu’il ne s’en sortira pas car s’est sur un échec que commence cette histoire. Comme pour mettre un point d’honneur à la fatalité, Je mourrai pas gibier montre la vie d’un jeune garçon qui malgré ses efforts, n’a pas réussi à renier ses origines.


Le roman :
Je mourrai pas gibier
Par Guillaume Guéraud
Editions du Rouergue, collection DoAdo
Janvier 2006


La bande dessinée :
Je mourrai pas gibier
Par Alfred
Editions Delcourt


Marie Bouvet, Claire Peraud et Fany Daouk, A.S. édition - librairie

jeudi 9 avril 2009

Une escale à Bordeaux réussie

A l’occasion de la 7e édition de l’Escale du livre dont Le Magazine Littéraire est partenaire, le site du quartier Sainte Croix à Bordeaux a vu son affluence grimper en flèche...

Marie N'Diaye et le projet salle blanche, zéro particule de Denis Cointe.


A droite, trois musiciens dans la lumière. A gauche au fond, dans l'ombre, Marie N'Diaye. Ensemble et séparés. Dès la mise en espace de cette performance, on sent l'intérêt et la limite de ce projet.

Intérêt de mettre en musique les mots de Marie N'Diaye, avec un challenge relevé : comment ne pas se contenter d'illustrer, de faire de jolis sons ? La solution trouvée : ne pas tant faire lire Marie N'Diaye que d'utiliser sa voix comme un son. Passée à travers un sampler, triturée, mettant en valeur l'aspect physique de la lecture, les sons de gorge, elle est méconnaissable et se fond dans la musique.

La musique parlons-en, puisqu'elle est au coeur du projet. C'est ce qu'on appelle du post-rock : comprendre un enchaînement de notes lent, et parcimonieux, ou le silence a autant de valeur que la basse, le synthétiseur, la voix ou le saxo free de Denis Cointe. On pense aux lents arpèges désertiques du groupe Earth. On pense aussi aux rêveries de Kat Onoma, ou de Tarwater.

Derrière le groupe, un écran bleu, sur lequel s'imprime au fur et à mesure la chaise de Marie N'Diaye, signe qu'elle va bientôt parler. Et c'est dans ces 5 dernières minutes que le projet se révèle le plus convaincant. Elle a une très belle voix, et le texte, qui parle de tourment intérieur, libéré des effets sonores, trouve sa force.

Limite donc, au final, d'un projet qui invite un écrivain, mais qui ne croit pas complètement dans la force des mots, alors qu'ils sont ce qu'il y avait de plus intéressant. Du coup, il faut bien avouer qu'on a un peu dormi.

La représentation de Samedi étant toutefois un work-in-progress, attendons d'en voir la version finale pour donner notre dernier mot.

La photo est tirée du site officiel de l'escale 2009