samedi 18 avril 2009

Compte rendu de la rencontre carte blanche à Olivier Cohen : autour des éditions de l'Olivier

L'escale recevait Olivier Cohen, créateur et directeur des éditions de l'Olivier, ce dimanche 5 avril 2009. Un éditeur agissant comme un chef d'orchestre, il y avait bien une certaine logique à ce qu'il vienne accompagner de sa garde rapprochée : Geneviève Brisac (éditrice et écrivain), Olivier Adam (écrivain), Juliette Kahane, Olivier de Solminihac. C'est aussi la marque d'un homme plein de tact, dont la passion est de mettre les autres en avant.


Ainsi si l'entretien s'est concentré sur le parcours d'Olivier Cohen, en particulier dans le cadre des éditions de l'Olivier, son récit a été éclairé par les interventions ponctuelles de ses invités.


Entretien où l'on apprend que le destin de cette maison d'édition tient à deux mots : hasard et rencontres.


Hasard que la création de cette maison, qui n'est pas née d'un projet longuement mûri, mais d'un licenciement et d'une proposition de Claude Cherki des éditions du seuil, de créer une nouvelle structure. Derrière malgré tout, l'envie de ne plus avoir à se justifier, de ne plus devoir batailler pour imposer ses auteurs. Les éditions de l'Olivier se créent donc autour d'un projet très vague : mettre en avant la littérature américaine, découvrir des auteurs français, publier des livres de voyage (qui ne viendront jamais). Le hasard encore aurait pu tuer dans l'oeuf cet éditeur : en 1991, quand les premiers romans paraissent, la guerre du Golfe éclate, paralysant l'économie. Résultat, un boulet commercial à tirer des années.


Mais heureusement, il y a de bonnes rencontres aussi, qui ont permis la survie de l'Olivier. D'abord un grand monsieur de la littérature américaine, Raymond Carver, qui servira d'auteur étendard. Une révélation pour Olivier Cohen qui en a tiré sa conception du métier d'éditeur, et une référence pour les autres auteurs américains signés par la suite : Cormac McCarthy, Richard Ford, Jonathan Safron-Foer, etc. Une autre rencontre capitale, celle de Geneviève Brisac, elle aussi venue à l'édition un peu par hasard, grande éditrice de littérature jeunesse, qui a amené avec elle toute une génération de nouveaux écrivains, qui ont participé au renouvellement du paysage littéraire française, comme Olivier Adam ou Christophe Honoré.


Ainsi, au fil des années s'est crée une véritable identité autour d'un pôle littérature américaine au succès constant et d'une génération française nourrie aux nouvelles de Raymond Carver, qui ont fait des éditions de l'Olivier une structure stable dans le paysage tourmenté de l'édition française.


En annexe à cet article, veuillez trouver la retranscription de la rencontre avec Olivier Cohen, que nous avons tenté de reproduire de la façon la plus fidèle possible.


La rencontre a été menée par le directeur de l'Escale, Pierre Mazet.


Pierre Mazet : La venue de l'Olivier se situe dans une problématique de défense d'une génération d'auteurs. (...)

Première question : en 1991 vous créez les éditions de l'Olivier : racontez-nous en l'histoire.


Olivier Cohen : Tout d'abord je tiens à vous adresser mes remerciements. Ce genre d'invitation n'est pas courante. Je ne cours pas après : la qualité d'un éditeur est sa discrétion. Il doit être derrière auteur ou sur le côté. Pour cela qu'il fallait des auteurs avec moi.

A propos de la fondation de l'Olivier : je venais d'être mis à la porte d'une maison d'édition après trois ans, sans explication. J'étais assez en colère, avec le sentiment de ne pas avoir terminé mon travail. Le patron des éditions du Seuil, Claude Cherki m'a demandé si je voulais créer une maison d'édition avec lui. J'ai dit non : cela voulait dire des angoisses, des soucis : ça avait l'air d'un piège. Il m'a laissé sa carte et m'a dit : revenez me voir. Finalement, il est revenu et j'ai accepté.


Au départ je n'avais pas de projet : j'ai rencontré d'autres maisons d'éditions qui étaient très sympathiques, mais tout cela signifiait de dépenser des trésors d'énergie pour convaincre de publier les livres. Finalement, les éditer me semblait plus simple : je n'avais rien à expliquer. Pour mon projet , j'ai dit que je publierai des auteurs américains que j'aimais beaucoup et qui accepteraient de me suivre. Je voulais aussi des auteurs français mais cela semblait plus compliqué : je ne savais pas qui. Et j'ai aussi parlé de livres de voyages, mais ce n'était pas vrai.


En 1990 : la société a été crée. Le premier livre a paru en 1991. Le premier février 1991 a éclaté la première guerre du golfe. Avec la peur du terrorisme, les gens ne sortaient pas. La première année a été terrible : l'accueil critique a été bon, mais pas les ventes. Cette année a pesé lourdement sur les années suivantes. On a commencé dans deux minuscules bureaux : un pour moi et un pour ma secrétaire. Juste un téléphone et fax. Et j'ai démarché.


Pierre Mazet : Vous avez publié des auteurs américains et pas des moindres: Richard Ford, Raymond Carver. Puis est venue une deuxième génération avec laquelle vous avez continué votre travail de présentation de la littérature anglo-saxonne : Jonathan Safron-Foer, Cormac McCarthy...


Olivier Cohen: Je ne suis pas un universitaire (plus, en fait), ni un critique. Mais mon travail est basé sur des rencontres. Raymond Carver a une place particulière. Si on pouvait dédier une maison d'édition à quelqu'un, ce serait à lui. C'est ne qu'après avoir rencontré ses livres et lui-même, que j'ai compris qu'être éditeur pouvait avoir un sens, qui soit autre qu'un gagne pain. Il m'a apporté son amitié, et sa très grande culture. Contrairement à ses personnages, Carver n'était pas un homme simple. Il avait beaucoup lu (littérature russe et française), a eu une vie très compliquée à cause de son alcoolisme. Il était très respecté des autres écrivains : connaître Carver ouvrait les portes des auteurs américains. Chaque auteur m'a amené à d'autres. Cf. Jay McInerney : je l'ai d'abord publié, avant de me rendre compte qu'il était très lié à Carver.


Pierre Mazet : Au début le catalogue français était un peu maigre, mais vous vous êtes bien rattrapé. Celle qui vous a aidé, c'est Geneviève Brisac.


Elle monte sur scène



Olivier Cohen : quand je l'ai rencontré, elle avait un palmarès d'éditrice extraordinaire. Elle publiait des livres jeunesses : elle découvrait des auteurs qui n'avaient rien écrits. Elle a un sixième sens : elle est capable de reconnaître des écrivains à partir de bribes de textes. Elle a découvert et publié beaucoup de ses auteurs, mais une toute petite partie chez l4Olivier. Pour certains : on les a choisi, et eux nous ont choisi.


Geneviève Brisac : Moi j'écrivais, et le problème des écrivains est qu'il faut manger. Que faire ? En Allemagne, ils ont des bourses. En Angleterre, ils enseignent. Mais j'ai été une très mauvaise prof. Je suis devenue éditrice pour enfant par hasard. Quand j'étais prof, je voyais que les enfants ne lisaient pas. Alors j'ai cherché des choses émouvantes, profondes.


J'ai rencontré des auteurs, et les ai amenés à écrire des livres pour enfants. L'idée était de construire des choses belles et inoubliables. Ca aurait pu être de la menuiserie.


Olivier Cohen : ces gens étaient écrivains. Une nouvelle génération : à l'époque c'était quand même leur premier livre : Agnès Desarthe, Amélie Nothomb, etc. En quelques années, le paysage littéraire français a été bouleversé. Du coup, certains auteurs qui avaient occupé le haut de la scène se sont retrouvés doucement poussés en bas.

Puis on s'est rendu compte que les gens aimaient la littérature étrangère : cela représente 30 % des ventes aujourd'hui. La France est le pays qui traduit le plus de littérature étrangère.

Les deux phénomènes se sont combinés pour faire réussir les Editions de l'Olivier.


Pierre Mazet : Quels sont les liens entre les auteurs américains et les auteurs français que vous publiez ?


Olivier Cohen : Geneviève Brisac m'a fait découvert Flanery O'Connor, etc : des auteurs féminins, anglo-saxons. Et des spécialistes de la nouvelle. C'est un genre qui a été inventé par la France avec la Russie, mais qui a été complètement oublié après. Maupassant est considéré par les américains comme l'inventeur de cette forme. Pour moi, nouvelle est de la littérature française transplantée aux Etats-Unis : il y a des liens évidents que nous ne connaissons pas mais eux oui. J'insiste car on ne se rend pas compte à quel point elle se trouve à l'essence de la littérature actuelle. La nouvelle permet l'apprentissage lecture : elle est comme un sprint, un combat de boxe en deux rounds.

De plus, il y a une économie de la nouvelle : le new-yorker publie chaque semaine une nouvelle, y compris d'inconnus. En plus ils sont payés pour ça. Certains mêmes en vivent. Carver vivait des quatre nouvelles qu'il publiait dans le New Yorker par an.

Chez Geneviève Brisac et Olivier Adam : il y a une compréhension de ce que peut être une nouvelle, et la littérature anglo-saxonne.


Olvier Adam monte sur scène


Olivier Adam : Je me suis nourri de littérature anglo-saxonne. C'est une des raisons pour lesquelles j'ai publié à l'édition de l'olivier, et notamment cette relation à Raymond Carver. De se dire : c'est possible, on a le droit d'écrire de cette façon, sans effet de manche, dans cette humanité et empathie là. J'avais enfin l'impression de lire quelque chose des gens qui m'entouraient. J'avais 17 ans quand les éditions de l'Olivier se sont crées. M'a accompagné durant mes années de formation. Je venais de découvrir Jean-Paul Dubois. Et puis, au fond, je me suis rendu compte que cette maison publiait des livres français ou américains, qui allaient bien avec moi. J'achetais presque à l'aveugle. Petite de Geneviève Brisac, a été très important pour moi. Marie Desplechin, Christophe Honoré, aussi. Ces livres alimentaient mon travail, mes choix et m'ouvraient d'autres horizons : par exemple j'ai lu Virginia Woolf parce que Geneviève en parlait tout le temps.

Pour moi, il était du coup naturel d'aller vers Olivier. L'articulation entre littérature française et américaine était intéressante : il n'y a pas un domaine étranger, pas de différence de couverture entre français et américains, pas de rupture.



Olivier Cohen : A la fin des années 70, je travaillais au Sagittaire. L'équipe partageait un goût pour un certain type de littérature : les auteurs français de l'entre deux guerres cités par Olivier Adam : l'aile gauche de la nouvelle revue française. Le fait qu'Olivier Adam ait aimé ces auteurs avant qu'on s'en parle, marque les liens invisibles entre auteurs et générations d'auteurs. Les auteurs, les journalistes, les salons passent mais les livres restent.

Notre maison d'édition est jeune, elle n'existe que depuis 20 ans, mais ça me plaît de savoir qu'il y a une continuité avec auteurs. Et il n'y a pas que des américains : Aharon Appelfeld par exemple est très important.


Pierre Mazet : comment ça se passe quand on arrive dans votre maison d'édition ?


Juliette Kahane et Olivier de Solminihac montent sur scène :


Juliette Kahane : Je Connaissais les éditions de l'Olivier pour Carver. Je ne peux pas faire de comparaison avec autres maisons d'éditions [elle vient de Gallimard], mais j'ai trouvé que le facteur humain était très fort. Sur le texte lui-même, j'ai travaillé avec l'éditrice Laurence Renoud d'une façon complètement nouvelle, pour le bien du livre.

Olivier Cohen : Il y a en France une tradition de l'image de l'éditeur. Une image qui date de l'époque romantique. Il doit nécessairement être quelqu'un de solitaire, au bord de la faillite, qui court à droite à gauche, pour faire partager sa passion. Mais cette image ne correspond pas à la réalité. Les éditions de l'Olivier sont une équipe : je ne suis pas seul pour prendre la décision finale. Ce qui fait la force d'une maison d'édition est la capacité à faire travailler ensemble des gens au goût différent. Je n'ai jamais cherché à défendre une ligne d'édition, mais toujours à faire vivre des expériences différentes.



Olivier de Solminihac : Mon lien à l'olivier est Patrick Bouvet. Lui-même s'était tourné vers l'Olivier car il avait lu Michael Ondaatje à l'Olivier. A l'époque, j'écrivais de la poésie, et les contacts que j'avais pu avoir étaient décourageants. Je me disait, si ça ne marche pas, je monte une revue. J'y ai publié Brisac, Bouvet, Honoré, et des auteurs venant d'horizons complètement différents. Puis au cours de mes études : j'ai fait un stage dans la partie éditions de l'Olivier. Ce fut un moment très important : le début de ce stage a été complètement raté. J'avais perdu mon père 15 jours avant le début du stage. C'était un moment très douloureux. J'étais Incapable de travailler pendant les premiers jours. Mais l'accueil qui a été fait par Olivier et Laurence Renaux a été merveilleux.

J'ai publié mon premier recueil de poésie chez un petit éditeur de Chartres. Et puis mon projet d'écriture : Partir : s'est révélé être un roman.


Olivier Cohen : Mais Olivier, vous écrivez certains romans qui sont vraiment poétiques. C'est un problème grave dans notre pays : dans les autres pays, les poètes sont des gens importants, pas démodés. Mais en France, ils sont mal accueillis par tout le monde.

En conclusions de cette rencontre, je dirais qu'une maison d'édition est basée exclusivement sur l'amour de la littérature : ça ne peut pas marcher autrement.



Sources : le logo des éditions de l'olivier a été pris sur le site :bibliomonde
Les illustrations de couverture sont reprises du site de la librairie Decitre


Liens : Vous pouvez retrouver des informations sur les éditions de l'Olivier sur leur site internet.


Benjamin Sausin

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