mercredi 8 avril 2009

La Douleur : Marguerite Duras et Patrice Chéreau

Dès l'entrée dans la salle immense et presque inappropriée du TnBA, la rupture se fait sentir. Entre la salle, bruyante, bondée et mondaine, et la scène, froide, sombre, nue à l'exception d'un bureau et de quelques chaises, et de cette femme, Dominique Blanc, de dos, qui attend. C'est un sentiment presque kafkaïen qui touche le spectateur, même lorsque débute le texte, au vu de ce personnage, si frêle et si seul sur ce gigantesque plateau.

Pourtant, à lire l'œuvre mise ici en scène par Patrice Chéreau et Thierry Thieû Niang, c'est d'abord l'intime qui prime. La Douleur, journal de guerre de Marguerite Duras, est un témoin d'attente. De l'attente d'une femme, au cœur de la joie nouvelle qu'a procuré au peuple français l'annonce de la Libération. De l'attente de l'homme qu'elle aime, Robert L. -Robert Anthelme, le mari de Marguerite Duras- déporté durant la guerre dans un des camps de concentration dont on découvre à peine l'horreur. Les prisonniers rentrent par groupe, à la gare d'Orsay, accueillis par les femmes et les amis. Elle, elle attend encore. Il doit en revenir un sur cinq-cent, il est possible qu'il rentre. Il est possible qu'il soit mort. Elle ne mange plus, ne se lave plus, elle liste les noms des survivants pour un journal révolutionnaire. Elle l'attend, sans plus savoir qui elle attend, pourquoi elle l'attend, lui. Quand il sera là, elle n'aura plus qu'à se laisser mourir.

Texte littéraire mais écrit à la première personne, il a d'abord été travaillé comme simple lecture avant d'être mis en scène . Cette femme donc, lit ce journal, qu'elle « ne se rappelle pas avoir écrit », et se souvient. Des lieux, des sensations. Ce n'est pas le récit qui est mis en scène, mais le souvenir, de l'avoir vécu, d'avoir fait ces trajets, ressenti cette souffrance. Et dans la lecture, le plateau devient tour à tour la gare, la maison ou elle attend, et le lieu où elle se rappelle.

La scénographie est simple, à l'image des mots de Marguerite Duras, les accessoires sont réduits à l'essentiel, la lumière est fixe, peu travaillée. Dominique Blanc porte presque seule le poids de ce texte, comme le poids de cette douleur qui la rend folle. Simplement toujours, humblement, elle raconte. L'histoire dans l'Histoire.

Lorsque la lumière s'éteint, lorsqu'elle sort lentement de scène, la salle retient son souffle. Pour mieux applaudir la prestation de cette comédienne, dans une standing-ovation tranchant presque violemment avec les mots qui l'ont précédé.

« Le mot "douleur", conclut Patrice Chéreau, est plus profond que "chagrin" ou "souffrance" qui passent. La douleur, elle, ne vous quitte jamais. »

La Douleur de Marguerite Duras, mise en scène Patrice Chéreau et Thierry Thieû Niang, avec Dominique Blanc.
Prochaines dates : 9 et 10 avril 2009, Théâtre de la Croix Rousse, Lyon.


Elisa.

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