mercredi 15 avril 2009

Compte rendu des inséparables : lecture dansée de Marie Nimier (mots) et Claudia Gradinger (corps)



Une histoire presque banale. Deux jeunes filles, deux amies, inséparables et pourtant séparées par la vie, par des destins très différents. Les retrouvailles sont toujours touchantes et poétique, même quand la réalité se fait sordide.

Récit d'une amitié, les inséparables se prêtait tout naturellement à être lu en duo. Pourtant, c'est presque par hasard que ce « spectacle » (Marie Nimier n'aime pas trop ce mot, car c'est plus que de la lecture, mais moins que du théâtre) s'est monté. Marie Nimier et Claudia Gradinger ont commencé à travailler ensemble autour d'un spectacle basé sur les plantes vertes (Claudia Gradinger devait y être formidable en ficus), et puis il y avait ce texte que l'écrivain venait de terminer : l'occasion comme souvent a fait le larron. Quelques semaines de répétitions intensives, et nous voilà avec un spectacle transposable en tous lieux, sans en pâtir.

Il y a bien quelque chose du théâtre dans cette performance : un texte, des personnes sur scène, un espace délimité par du scotch blanc apposé au sol, un lecteur de cd portatif pour la musique. Mais Marie Nimier refuse cette appellation, car il n'y a pas d'acteurs à proprement parler. Juste elle qui lit et Claudia Gradinger qui danse. Malgré tout, ce n'est pas si simple : dans la relation Marie Nimier / Claudia Gradinger sur scène, il y a beaucoup de la relation entre cette narratrice qui parle, et son amie Lea qui vit si intensément, comme un papillon toujours à deux doigts de se brûler les ailes, et dont les émotions passent avant tout par le corps. Et puis, il y a tous ces apartés entre les deux performeuses, certains répétés d'autres pas, qui apportent une vraie touche de vie dans la représentation.

Cette lecture dansée est un spectacle compact, crée pour pouvoir être joué n'importe où, avec un minimum de répétitions, un work-in-progress permanent. Crée dans l'urgence, elle se concentre sur l'essentiel : les deux amies, une chorégraphie basée sur les moments forts de cette relation d'amitié, pas de décor. Une épure du roman, dont la simplicité n'empêche pas la subtilité. Si on sent Marie Nimier pas encore complètement à l'aise dans la lecture à haute voix (surtout si on la compare à la performance de Jacques Bonaffé le lendemain sur le texte d'Olivier Adam), la danse de Claudia Gradinger, simple mais subtile apporte énormément. Le final, chorégraphie sur l'activité de prostitution de Léa, dansée sur la musique hypnotique de death in vegas, prend le risque du sordide pour trouver une sorte de grâce très fragile. Et puis le texte lui-même est très fort : poétique sans tomber dans le naïf, tout simplement touchant.

En somme, difficile de dire s'il s'agissait là d'une lecture ou d'un spectacle, mais il n'y a aucun doute que cette performance fut de grande qualité : on espère qu'elle continuera à tourner dans les bibliothèques, salons, et pourquoi pas scènes de théâtre.


En cadeau bonus de cet article, retrouvez ci-dessous la transcription (la plus exacte possible j'espère) des propos de Marie Nimier et Claudia Gradinger, tenus après la performance :



A propos de la création de cette lecture-dansée


Marie Nimier : On s'est retrouvé dans une compagnie de danse : Petite forme autour d'un texte sur une plante verte. On a eu envie de travailler ça un peu plus. Mais je venais de terminer les inséparables.

On ne pouvait pas le lire en entier. Claudia l'a lu, et a aimé. Comme c'était une longue histoire, le problème était : quelle danse on crée là dessus ? On s'est senti assez libre pour bouleverser la chronologie, l'histoire et la réduire à une nouvelle. Les chorégraphies viennent aux moments clés : quand les deux amies sont toutes près.

Au début, il y avait trop de texte, on a fait tomber du texte. Comme si on faisait tomber le texte à la passoire et qu'on le centrait sur les deux amies.


A propos de la dualité entre le corps qui bouge, et la lecture.


Marie Nimier : La douleur de l'écrivain, c'est le corps contraint. (...) La douleur, ce n'est pas pas la page blanche mais rester derrière une table, immobile. Lire à voix haute est une façon de faire respirer les mots autrement. Le texte est un peu modifié car il s'agit d'une lecture à voix haute : faut le rendre sonore alors que texte est une voix silencieuse.

Ici, beaucoup de mots se répètent, il faut mettre en évidence la valeur rythmique. Cela a été inspiré par mon expérience des livres pour enfants basés sur l'oralité.


Question : on sent beaucoup de réserve dans votre attitude à toutes les deux durant le spectacle


Marie Nimier : Le mot réserve a beaucoup de sens : on ne sait pas ce que la vie nous réserve. Intéressant : dans une page on a une marge, qui est la réserve. Ici, on a un carré de 5 mètres : on peut être dedans ou dehors. La réserve sépare, quand le texte parle de prostitution. Il faut protéger le corps de son personnage.


Claudia Gradinger : Ne pas trop dire, ne pas être redondant.


Marie Nimier : On a pas l'impression qu'elle se retient, et en même temps, elle est réservée, en retenue. Elle a la volonté de ne pas tomber dans le spectacle de strip-tease. Pas une pudeur idiote, mais de la réserve.

A un moment, Claudia monte sur mes genoux : on appelle ça faire la langoustine : TIENS MARIE ON VA FAIRE LA LANGOUSTINE !

Dans d'autres situations, je dois parler avec la feuille, le micro, et la langoustine : on est dans une impudeur extrême des deux corps liés et en même temps il y a ce texte qui défile comme si de rien n'était.


Question : Qu'est-ce que ce "spectacle" a apporté à Claudia ?


Claudia Gradinger : j'adore lire, et je suis très sensible aux différents... j'adore l'écriture. Ma recherche ne porte pas sur un concept au départ, mais sur un personnage. Dans un autre travail, je devais fortement m'identifier à un ficus. Je ne pars pas vraiment des histoires, mais des personnes (des êtres). Créer une chorégraphie - ce sont avant tout des propos physiques que l'on traite. C'est à dire créer à partir des sensations physiques (la danse est pragmatique, réelle, non sémantique) et émotionnelles.
Un travail sur les états – qui se fait dans le silence.
Pour moi, la danse c'est une affaire profondément humaine et je travaille beaucoup avec des personnes à la marge (malades psychiques, physiques, personnes âgées, des danseurs atypiques...), des singularités qui sont en quelque sorte des « personnages ».

Ainsi il s'agirait de sortir la danse de son propos technique et de ne plus chercher le geste juste mais le geste vrai.

Le travail autour des Inséparables, est nouveau pour moi parce qu'il s'agissait de partir d'une histoire sémantique.
La contrainte était de trouver la nature des différentes danses correspondant à Léa.

C'est une façon de sortir un peu de la danse.


Question à Marie Nimier : Votre lecture est très proche du théâtre : la danse sert de mise en scène au texte : elle donne à entendre le texte. Est-ce que vous écrivez du théâtre ou cela vous donne-t-il envie d'en écrire ?


Marie Nimier : J'ai commence à en écrire avant même de travailler avec des danseurs. Le théâtre est peut être plus difficile. Le roman, c'est ma terre. Je suis assez timide et donc il m'est difficile d'aller vers les metteurs en scène. Alors qu'avec danseurs : il y a beaucoup d'appétits. C'est une sorte de détour. L'espace et temps deviennent des choses essentielles.


Claudia Gradinger : Avant Marie n'était pas d'accord pour dire que c'était spectacle. Pour Marie, un spectacle serait un texte écrit pour le théâtre, spécialement. Elle disait : c'est juste une lecture .


Marie Nimier : c'est plus qu'une lecture, moins qu'un spectacle. Ce serait bien si pouvait avoir une personne qui regarde ce qu'on fait. Décors.


A propos des apartés


Marie Nimier : on aime bien se faire des surprises : garder cette qualité du vivant, jusqu'au point de dire des choses que l'autre n'attend pas.


Claudia Gradinger : On revient au in et au off : les histoires off sont parfois plus intéressantes. Même si on ne comprend pas, ça apporte quelque chose. Ca titille la curiosité du spectateur.


Marie Nimier : En plus, cela vient des lieux où on a pas le temps de beaucoup répéter, par exemple dans un festival, où les événements se bousculent, et où il peut y avoir des problèmes avec le poste de musique. Cela permet d'atténuer la faille. En plus c'est amusant : le destin des deux personnages et la vie de nous deux : Claudia et Marie. Entre les deux sorte d'amitié il y a une complicité. C'est intéressant.


Claudia Gradinger : Disons que nous avons conçu ce spectacle pour être le plus flexible possible.

A propos de l'escale :

Marie Nimier : vous ne pourrez rien me faire dire contre l'escale du livre: il s'y passe quelque chose.


A propos de futures représentations des inséparables en bibliothèque.


Marie Nimier : Un des buts de ce travail a été de pouvoir le jouer dans des médiathèques. Très léger. En tant qu'écrivain, on nous propose des rencontres en face en face. J'y suis pas forcément à l'aise : ici, ça donne envie de lire.


Ce n'est que la neuvième fois qu'on le joue : on a très peu répété : juste pour les salons du livre et les bibliothèques.


Claudia Gradinger : On a travaillé une bonne semaine et après deux trois semaines. Il n'y a plus beaucoup d'argent dans la danse : il faut faire vite. La moyenne de représentations pour une création en danse est de deux fois par an : cela ne vaut pas le coup de répéter trois mois.


Pour aller plus loin :


Le site de Marie Nimier
Le site des princes de rien, la compagnie de danse de Claudia Gradinger

Un entretien avec Marie Nimier à propos des inséparables


Remerciements à Mme Claudia Gradinger pour sa relecture et ses éclaircissements

Benjamin Sausin


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