vendredi 10 avril 2009

Échange d’impressions autour de "Je mourrai pas gibier" de Guillaume Guéraud

Marie : Lorsque j’ai lu Je mourrai pas gibier (la version roman aux Éditions du Rouergue), j’ai tout d’abord été étonnée que le livre commence par la fin. Le héros nous dévoile tout de suite la tuerie dont il est l’auteur. Sa culpabilité ne fait aucun doute. Pour autant, le lecteur reste dubitatif et aimerait comprendre ce qui l’a poussé à ce geste insensé. Ainsi, la suite du roman nous narre la descente aux enfers qui l’amène lentement vers cette extrémité…


Claire : Moi aussi j’ai lu Je mourrai pas gibier, il s’agissait de la BD adaptée de ce roman. L’histoire commence aussi par la fin et le personnage principal en est le narrateur. J’ai trouvé l’univers de cette BD très sombre. Les couleurs sont ternes et le trait devient de plus en plus brouillon au fur et à mesure que le drame avance…



Fany : C’est en effet une histoire qui semble tourner en boucle. Comme vous le disiez, on y entre par la conclusion : le narrateur, blessé, est couché dans le jardin ; la police est sur les lieux, elle enquête et dresse le bilan d’un drame qu’on ne comprend pas. En tant que lecteurs, lorsque nous ouvrons la BD – ou le roman – c’est pour nous plonger dans l’incompréhension la plus totale en reconstituant par bribes les faits d’un crime affreux commis par un adolescent, qui nous donne tout d’abord un sentiment d'absurdité, de non-sens.



Marie : Pour ma part, j’ai l’impression que cette scène que l’on retrouve à la fois au début et à la fin est en quelque sorte la destinée du héros, à laquelle il ne peut échapper. Selon moi, l’autre fait marquant est l’amitié entre le héros et Terence le « pleu-pleu », un simple d’esprit qui sert de souffre-douleur à tous les habitants du village, quel que soit leur clan, les scieurs ou les gars de la vigne. La séparation entre les deux clans semble éternelle et est un point fort du roman. Martial, le narrateur, de par ses études et cette amitié essaie de sortir de cette dichotomie infernale, et la seule issue qu’il y trouve est la tuerie qu’il finit par provoquer.



Claire : L’agression du pleu-pleu par le frère de Martial et son ami Fred remet en question toute la vie du personnage principal, sa position dans son village mais aussi celle vis-à-vis de sa propre famille. Dans la BD, quand le héros découvre pour la première fois avec horreur ce que son frère et Fred ont fait à Térence, Martial ne devient plus qu’une silhouette noirâtre. Ses pensées ne sont plus que des traits illisibles, des gribouillis incompréhensibles. Le dessinateur arrive ainsi à retranscrire l’état d’esprit dans lequel il se trouve. On voit sa famille et Fred sous la forme de silhouettes difformes et monstrueuses qui le hantent et le torturent. La deuxième fois, quand Martial comprend que les deux acolytes sont repartis tabasser le pauvre Térence et qu’il le découvre agonisant, l’espace de deux cases sur fond rouge (qui symbolisent la répétition et l’horreur), on comprend parfaitement que le personnage a basculé et qu’il va commettre l’irréparable.



Marie : Ce sont aussi deux moments forts dans le roman. Ils sont décrits de manière courte mais précise, sans ellipse. Cependant, j’ai l’impression, à vous lire, que l’image apporte une force et une violence moins prégnante dans le roman. Ces scènes structurent véritablement le récit et opèrent une incroyable modification dans le comportement du héros.



Fany : Dès le départ, un symbole fort a été introduit dans la BD, comme une menace insidieuse, qui n’est là que pour évoquer la fatalité qui guette Martial : c’est l'image du lièvre que le dessinateur a choisi de glisser dans les pages. Il apparaît à la toute première case de la BD puis on le retrouve en motif discret, glissé parmi d'autres, dans la représentation des pensées du garçon. Un lièvre, c'est le gibier par excellence, la proie facile. Ici, cette image de la victime aux abois évoque le véritable drame, celui qui donne tout son sens à l’histoire et qui sert de titre au roman, qui est résumé par un dicton du village énoncé dès les premières pages : "je suis né chasseur, je mourrai pas gibier." Au fil des pages, les deux camps se dessinent : les chasseurs aux instincts violents et cruels et les gibiers, victimes d’être différents et impuissants face au danger. Pris entre sa nature et son désir de vengeance, Martial endossera tour à tour les deux rôles.


Claire : À la fois, chasseur puis gibier, Martial n’avait aucune chance de s’en sortir. Dans la BD, son saut dans le vide est représenté comme une clé vers la liberté et pourtant le lecteur sait dès le départ qu’il ne s’en sortira pas car s’est sur un échec que commence cette histoire. Comme pour mettre un point d’honneur à la fatalité, Je mourrai pas gibier montre la vie d’un jeune garçon qui malgré ses efforts, n’a pas réussi à renier ses origines.


Le roman :
Je mourrai pas gibier
Par Guillaume Guéraud
Editions du Rouergue, collection DoAdo
Janvier 2006


La bande dessinée :
Je mourrai pas gibier
Par Alfred
Editions Delcourt


Marie Bouvet, Claire Peraud et Fany Daouk, A.S. édition - librairie

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